Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 novembre 2013 1 04 /11 /novembre /2013 10:44

rouge feu.jpg

Suite des quatre précédentes notes.

  Sur le plan conceptuel il existe, en dépit des concordances, une différence de nature entre le Soi Nietzschéen et le Soi Jungien. La ressemblance est manifeste quand il s’agit de présenter le Soi comme le grand organisateur, celui qui oeuvre dans les profondeurs de la psyché. Jung ne pouvait qu’adhérer à la vision de Nietzsche, dans Ecce homo, d’une conscience comparée à une “surface” sous laquelle oeuvre une force organisatrice. Mais, une fois de plus, il va faire à Nietzsche le reproche de ne pas “actualiser” une pensée demeurant  dans les hauteurs alors qu’elle est censée glorifier la Vie et la Nature. Le Soi du Zarathoustra dans le discours intitulé "des contempteurs du corps",  ce “maître du Moi”, ce “sage inconnu" était assimilé à la vie du corps, à la joie d’une harmonie avec la pure nature. Or, selon Jung, (Correspondance, T5,p.41) la tentative de Nietzsche pour donner son sens au Soi :
Resta un météore qui ne rejoignit jamais la terre, puisque le conjunctio oppositorum  n’eut pas lieu, et surtout ne put avoir lieu”.

    La raison de cet échec de Nietzsche fut tout d’abord le refus de la reconnaissance de l’ombre, déja évoquée, et la quasi occultation de l’élément féminin, en tant que pôle opposé.
    Le surhomme, projection du Moi surdimensionné, se dresse contre l’”homme le plus laid”, cet homme “ordinaire” et souvent peu glorieux qui est en chacun de nous. Comme l’écrit Jung dans Mysterium conjonctionis, l’oeuvre majeure des dix dernières années de sa vie (T1,p.303) :
On ne consent pas à voir l’ombre ; celle-ci doit être niée, refoulée, ou gauchie en quelque chose qui sorte du commun. Le soleil est toujours éclatant et toutes les choses renvoient son éclat. Aucune place n’est laissée aux faiblesses qui portent atteinte au prestige.”
 C’est une quasi divinisation du Moi qui va désormais être le réceptacle de toutes les qualités, entraînant ainsi la possibilité de la mort de Dieu. Cette divinisation du Moi va, par une sorte d’effet boomerang, “renvoyer à l’intérieur du sujet pensant” ce qui aurait du être projeté sur l’image divine. C’est ce qui arrive à ceux qui se prennent pour un roi ou un dieu et que la société nomme fous. Dans le meilleur des cas, donc le pire, elle en fait des Führer.
    Cependant, son auto quasi divination ne procure pas à l’homme les qualités divines. Elle engendre seulement le désir de posséder ces qualités. La souffrance du désir insatisfait rend hideux celui qui pour se venger tourmente alors autrui. Témoin le  “pâle criminel” du Zarathoustra qui “souffre de soi” à un tel point qu’il n’y a pas de rédemption possible :
C’est une image qui a fait pâlir cet homme blême. Il était à la hauteur de son acte au moment où il l’a perpétré, mais une fois accompli il n’en a pas supporté l’image”.

    Or Nietzsche n’avait pas seulement tenté de tuer, Dieu, crime sur la réussite duquel  Jung émet des doutes, mais il avait, fait gravissime à assumer pour un glorificateur de la Vie, tenté de supprimer la femme. Pour celui qui écrit : “Il y a plus de sagesse dans ton corps que dans l’essence de ta sagesse”, comment la vie du corps a-t-elle pu être aussi misérable et la relation au pôle féminin de la nature aussi peu réussie ?
    Les relations personnelles de Nietzsche avec les femmes, y compris sa mère et sa soeur, furent des échecs. Au cours de son  oeuvre il glorifie parfois la femme comme image de la Vie mais en ajoutant aussitôt qu’elle est sorcière, cruelle et insaisissable. Le surhomme nietzschéen trouve difficilement une compagne. S’il y parvient l’utilité de cette compagne se limitera à la tâche d’enfanter, d’une manière toute symbolique, le surhumain.
     Les lignes venimeuses qui vont suivre, extraites du texte : Des femmelettes jeunes et vieilles, cette “chosification” de la femme que l'on trouve dans le Zarathoustra  sont, je le pense, la conséquence d’une profonde souffrance  :
L’homme digne de ce nom n’aime que le danger et le jeu. C’est pourquoi il désire la femme le plus dangereux des jouets.
L’homme doit être élevé pour la guerre, la femme pour le délassement du guerrier : hors de cela tout est folie. …   
La femme a besoin d’obéir et de donner une profondeur à sa surface. L’âme de la femme est superficielle, c’est une surface mobile et agitée au dessus d’un haut fond.


La petite vieille ironique à laquelle Nietzsche-Zarathoustra adresse ce discours est une voix de l’inconscient. Elle l’avertit du danger de traiter les femmes de cette manière. “Tu vas chez les femmes”, dit-elle, “N’oublie pas le fouet”. En effet, les forces féminines refoulées seront difficiles à dompter et Nietzsche subit les conséquences de son refus de l’opposé féminin. Dans sa folie c’est à Cosima Wagner, alias Ariane, qu’il écrivait “Ariane je t’aime”, en signant Dionysos.”

Tenter d'éliminer la femme c'était dangereusement refouler toutes les forces de la Nature et peut-être aussi celles du divin. C'est ce que nous verrons dans la prochaine et dernière note.

Partager cet article
Repost0
28 octobre 2013 1 28 /10 /octobre /2013 10:03

Monstre.jpg

 Suite des trois notes précédentes

Pour Jung la philosophie, comme la psychologie, est destinée  à l’homme et non à la pure spéculation intellectuelle. L’un de ses grands reproches envers Nietzsche est de ne pas avoir appliqué ”ses théories” à sa propre vie. Il écrit dans Ma vie :

“Nietzsche, avec son exubérance, ne serait peut-être pas tombé hors du monde s’il s’en était tenu aux bases mêmes de l’existence humaine.

Il avait perdu le contact avec le réel, se voulait un philosophe-médecin mais ne maîtrisait pas sa propre santé.
 
    L’analyse du “cas Nietzsche“ sur le plan de la névrose et de la folie du philosophe pendant les dix dernières années de sa vie a été effectuée dans Psychologie de l’inconscient, ouvrage assez ancien, mais dont la dernière édition entièrement revue date de 1942.

Jung éxamine d'une manière critique la vie de Nietzsche . Il prèchait un grand oui à la vie et à l'impulsion mais s'imposa un mode de vie assez maniaque et très contraignant décrit en détail dans Ecce homo. Il a recherché les meilleurs climats, les régimes les plus divers, et absorbé beaucoup de somnifères. Finalement comme l’écrit Jung dans Psychologie de l'inconscient (p.67)
“Il prêchait de dire oui à l’impulsion et il vécut une négation de la vie. Les hommes lui inspiraient un trop grand dégoût et en particulier l’homme en tant qu’animal qui vit de son instinct, pour qu’il puisse en être autrement” … “C’est pourquoi la vie de Nietzsche ne nous convainc pas de la justesse de sa doctrine. Car le “surhomme” veut pouvoir vivre à Naubourg et à Bâle, malgré le “brouillard et les ombres” il veut la femme et la progéniture …”Nietzsche omit de vivre un instinct, précisément l’instinct animal de la vie : Nietzsche fut, sans que cette considération attente le moins du monde à sa grandeur et à sa signification, une personnalité maladive”.
  Il y a une dissemblance manifeste entre le comportement de Jung et celui de Nietzsche. Jung aimait les plaisirs de la vie. Il fumait, était amateur de bonne chère et de bon vin. Il eut femme et enfants et résistait difficilement à la beauté et à l’intelligence féminine. Ce que j'ai dit dans la note précédente sur l'accord entre Nietzsche et Jung sur le côté positif des grandes maladies se retrouve dans les écrit de Nietzsche mais pas  dans la ”personnalité maladive”dont parle Jung. Une personnalité qui n'a pas appliqué sa philosophie dans sa vie quotidienne.
    Pourtant, pense Jung, il y avait en Nietzsche un dynamisme, une énergie de vivre, et si on lui avait reproché de tourner le dos à l’instinct il aurait protesté vigoureusement. Pourquoi, alors, ses impulsions instinctives l’ont-elles éloigné du monde des autres hommes, isolé dans un dégoût du “troupeau humain” ? La réponse serait qu’à côté de l’instinct de la satisfaction des sens et de la conservation de l’espèce il existe un autre instinct, celui de la “conservation de soi-même”. Il s’agit de la “volonté de puissance”. C’est de cet instinct que parle Nietzsche et tout le monde pulsionnel dérive pour lui de cette volonté. La conséquence en est une unilatéralité et une grave inflation psychologique que Jung décrit ainsi  dans Psychologie de l'inconscient (p.68,69)

“Le cas de Nietzsche montre d’une part quelles sont les conséquences d’une unilatéralité névrotique, et d’autre part quels sont les dangers que comporte en soi toute tentative de sauter par- dessus le christianisme. Nietzsche a indubitablement ressenti au plus profond de lui-même la négation, qu’impose le christianisme, de la nature animale de l’homme, et il se mit en quête d’une nouvelle totalité humaine, édifiée sur un plan plus élevé, par delà le bien et le mal. Quiconque soumet l’attitude fondamentale du christianisme à une critique sérieuse se dépouille par là même de la protection séculaire que celui-ci lui ménageait. Il se livre alors inéluctablement à l’âme animale de l’homme. C’est alors le moment de l’ivresse dionysiaque, la révélation bouleversante de la “Bête blonde” qui s’empare du naïf, ignorant de l’aventure où il s’est engagé, et qui le remplit d’un vertige inconnu. L’état frissonnant de possession dans lequel il se trouve fait de lui un héros, ou une espèce de demi-dieu, animé par le sentiment d’une grandeur supra-humaine. Il se sent précisément “à six mille pieds par delà le bien et le mal.”

    C’est la puissance du Moi qui a été exaltée dans le cas de Nietzsche. Une sorte d’héroïsme chronique lui a fait perdre la plasticité adaptative nécessaire à la vie. Au moment où il fut confronté avec son ombre qui était la volonté de puissance il n’a pas su la reconnaître. Au cours du combat entre le principe du Moi et le principe de l’instinct, lui qui prônait la complexité et le dépassement des limites, s’est retrouvé dépendant de la structure et de la limitation d’un Moi qui ne pouvait supporter la présence de cet “autre”, de cet adversaire intérieur, son ombre. Toutes les manifestations de l’inconscient sont devenues suspectes à celui-là même qui avait su écrire sous sa dictée le premier livre du  Zarathoustra. L’ombre y était re-présentée symboliquement d’une manière très visible  sous la forme de “l’homme le plus laid” mais le surhomme dans lequel se projetait Nietzsche a refusé de la voir.
     Zarathoustra lui-même, comme le dit Jung dans Ma vie , était la grande ombre de Nietzsche. C’était aussi une manifestation de l’inconscient, semblable à celle de son propre numéro 2. Le problème vint du fait que Le Moi conscient de Nietzsche préoccupé d’héroïsme et déraciné des forces vitales n’était pas assez fort pour conserver sa cohérence et son identité. Il devient Dionysos et le “crucifié” et sa cohérence psychique éclata définitivement. L'annonce de cette dissolution se lit dans le poème Sils-Maria qui fait partie des Chansons du prince hors la loi dans Le Gai Savoir :

    Ici j’étais assis à attendre,
    Attendre - mais à n’attendre rien,
    Par delà le bien et le mal , à savourer tantôt
    la lumière, tantôt l’ombre,
    N’étant moi-même tout entier que jeu,
    Que lac, que midi, que temps sans but.
    Lorsque soudain, amie !  un se fit deux
    Et Zarathoustra passa devant moi...   

C’est à ce moment que commença la sensation d’’écartèlement qu’il éprouva au début de la maladie mentale qui le conduisit à une terrible dissociation de la personnalité. Nietzsche avait voulu donner un sens au Soi mais il n'eut pas la force psychique de résister aux attaques de son inconscient, attaques qui le déconectérent de la réalité.

Ariaga

Partager cet article
Repost0
24 octobre 2013 4 24 /10 /octobre /2013 12:20

 

 

Lions ayant le mal de mer.jpg

Suite des deux notes précédentes.

Il existe, chez Nietzsche et chez Jung, une attitude à la fois semblable et différente vis-à vis de ce qu'ils appellent les "états valétudinaires ", pour faire simple la maladie. Nietzsche a principalement développé le sujet dans Ecce homo et dans sa correspondance et Jung dans Ma vie et aussi dans sa correspondance.

 Pour Nietzsche, le corps constitue un lieu d'élaboration où l'excès de santé, mais aussi la maladie, sont des stimulants de la création. La maladie lui était , en quelque sorte, indispensable et ses lettres recèlent un impressionnant catalogue de ses maux. C'était un refuge qui lui  permettait  d'échapper au quotidien et d'excuser certains comportements. Mais elle était aussi un moyen de ralentir l'excès de feu sous l'athanor, les dépenses d'énergie excessives qui empêchent l'évolution des forces créatrices.On se retrouve ici dans les perspectives alchimiques de la voie sèche et de la voie humide. Il me semble que ce passage de Ecce homo (p.56) le montre bien :

"La clarté et la belle humeur parfaite, voire l'exubérance de l'esprit que reflète l'oeuvre susmentionnée (il s'agissait du Voyageur et son ombre) se concilient chez moi, non seulement avec le plus profond affaiblissement physiologique, mais même avec un excès de souffrances. Au milieu même des tortures qu'inflige un mal de tête ininterrompu de trois jours, accompagné de pénibles vomissements de pituite, je bénéficiais d'une clarté de dialecticien par excellence et je méditais à fond de sang froid des questions pour lesquelles, dans des circonstances meilleures, je ne suis pas assez escaladeur, pas assez raffiné, pas assez froid.

   Il semblerait que chez des êtres comme Nietzsche, la recherche du sens et du dire de ce sens, mette la chair à l'épreuve comme si c'était au sein de cette "passion" que, comme dans le creuset des alchimistes, se produisait la "cuisson lente". 

Jung  est un peu de la même famille. Son enfance à été vécue sous le signe d'une relation très ambiguë avec des maladies réelles ou psychosomatiques. 

Pendant la petite enfance, une longue “absence” de sa mère provoque un eczéma généralisé. Un peu plus tard, il y a culbute dans un escalier, heurt violent contre le bord d’un poêle. Il manque tomber dans le Rhin du haut d’un pont ; à cela il faut ajouter des angoisses nocturnes. C’est à l’âge de douze ans qu’il fait, ce qu’il appelle lui-même dans Ma vie, une névrose. Il est renversé par un camarade et sa tête heurte le trottoir. Il anticipe la violence du choc et une pensée fulgure : “maintenant tu ne seras plus obligé d’aller à l’école !” Cette pensée est tombée dans l’inconscient, mais une somatisation s’est produite : chaque fois qu’il doit travailler, ou aller en classe, il tombe en syncope. Suit une période heureuse, pendant laquelle il est libre de faire tout ce qui lui plaît. Il faut une réflexion de son père, entendue par hasard, sur la lourde charge que va représenter un enfant handicapé, pour le tirer de cet état. Les crises disparaissent et il se rend compte que c’était lui qui avait “monté cette honteuse histoire”. Il devient, par la suite très consciencieux et très travailleur.
Ce comportement de fuite devant la vie ordinaire, cette manière de chercher refuge dans la maladie se retrouva alors qu'il avait près de soixante dix ans quand, à la suite d'une grave maladie qui l'avait plongé dans une espèce de coma rempli de visions, il mit trois semaines avant de se décider à retourner vers la réalité quotidienne. C'est l'instinct de vie et la nécessité de transmettre son expérience qui lui permirent d'émerger. De ces moments d'enseignements puisés dans un état proche de la mort, il revint avec de nouvelles forces et c'est après cette maladie que son travail et la puissance de sa pensée se révélèrent les plus fertiles. Il écrit dans une lettre de 1944 :

"En fin de compte, cette  maladie a été pour moi une expérience extrêmement précieuse, elle m'a donné l'occasion extrêmement rare de jeter un oeil derrière le voile. ".

 La maladie, probablement parce que elle diminue les défenses du conscient et relativise l'importance de problèmes souvent liés à l'image que l'on souhaite présenter à la société, peut donc, ainsi que l'ont ressenti et pensé Nietzsche et Jung, être un facteur de progression. Je nuance cette pensée, car il est des êtres qui souffrent tellement que je ne vois pas comment leurs souffrances seraient  positives. La maladie peut aussi, comme le montre le destin final de Nietzsche, être destructrice. Jung s'est penché, car cela le touchait personnellement, sur cette destruction dont il a tenté l'analyse. Ce sera, pour la prochaine note, l'analyse du cas Nietzsche par Jung.

 Ariaga

Partager cet article
Repost0
20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 19:22

Lutte du noir et blanc.jpg

 

La curiosité  de Jung au sujet de la philosophie et des philosophes s'était éveillée dès son adolescence mais s'il appréciait chez Schopenhauer le thème de la souffrance du monde et la manière de présenter les problèmes il n'aimait pas sa façon de les résoudre. Il trouva chez Kant une théorie de la connaissance mais détesta Hégel et son langage "pénible et prétentieux". Sa curiosité s'éveilla envers d'autre philosophes, en particulier les présocratiques, mais c'est seulement avec Nietzsche que se construisit une forme de relation passionnelle, parfois inconsciente, une sorte d'attraction-répulsion qui exerça une grande influence sur l'édification de sa pensée. Son intérêt pour Nietzsche ne se démentit jamais, et il consacra un séminaire au Zarathoustra entre 1934 et 1938.

   Que ce soit pour l'édification de son oeuvre, de son outillage conceptuel, dans son attitude vis-à-vis de l'existence, l'imprégnation nietzscheenne me semble évidente chez Jung. Une des manifestation la plus visible de cette filiation est leur goût commun pour le paradoxe. Cette manière de penser, pour laquelle j'ai beaucoup de sympathie, les conduit parfois à énoncer une idée ou à défendre, en apparence, une thèse pour en montrer, en même temps ou ultérieurement, la fausseté. Pour l'un comme pour l'autre, il n'y a pas de vérité absolue, de lumière sans ombre, et toute chose contient son contraire. C'est cet esprit paradoxal qui incite leurs détracteurs à leur faire le commun reproche d'obscurité et de confusion.  

    La relation Jung-Nietzsche commence d'une manière assez négative. Le premier contact se situe au début de ses années universitaires. On le voit alors bien installé dans sa personnalité numéro 1, celle qui privilégie la vie conscient et sociale. Il est peu disposé à recevoir des stimulations intellectuelles propres à réveiller l' "Autre ", ce numéro 2 qui le suivait autrefois comme une ombre et qui est maintenant relégué à l'arrière plan.

    Nietzsche avait terminé le Zarathoustra en 1885, alors que Jung était âgé d'une dizaine d'années. La rumeur, dans le milieu universitaire, en faisait un personnage peu sympathique sur lequel on colportait des anecdotes concernant plus la personne que les idées. Il était violemment contesté par les étudiants "compétents" en philosophie, et très mal vu par des professeurs qui, le plus souvent ne l'avaient même pas lu, ou très partiellement. Le fait d'entendre parler d'un philosophe aussi rejeté par ses semblables aurait du attirer le jeune Jung mais, dit-il, "j'hésitais à le lire, m'y sentant insuffisamment préparé". 

   L'explication la plus vraisemblable de la méfiance de Jung envers Nietzsche doit avoir son origine dans le regard lucide qu'il posait déjà sur sa propre fragilité psychique. Il devait être conscient que la présence en lui de deux personnalités représentait une menace de dissociation et de schizophrénie. L'impression d'angoisse concernant le sentiment de secrète parenté qu'il ressentait avec Nietzsche est ainsi exprimée dans Ma vie (p. 136) :

"J'avais  comme une angoisse secrète de lui ressembler au moins quant au "secret" qui l'isolait dans son milieu. Peut-être  -qui sait ? -avait-il eu des aventures intérieures, des visions dont par malheur il aurait voulu parler, mais qui n'avaient malheureusement été comprises de personne. Évidemment c'était un être hors série ou du moins qui passait pour tel, pour un lusus naturae, un jeu de la nature, ce que je ne voulais être à aucun prix. J'avais peur de découvrir que moi aussi j'étais comme Nietzsche, "un être à part". 

 Il avait aussi un sentiment de petitesse envers quelqu'un d'aussi cultivé, et qui avait atteint de "vertigineuses hauteurs". Cela ne faisait que conforter son idée que les "excentricités" permises à ce personnage extraordinaire lui étaient interdites mais, après un temps de résistance, intervint un phénomène moteur de de vie de Jung, " l'intense curiosité " à laquelle il ne sut jamais résister. Ses craintes furent balayées et il se "décida à lire".

Il commença par les Considérations inactuelles et fut passionné par un ouvrage qui mettait la vie au dessus de la pensée, et la personne au dessus de la doctrine. “Emporté d’enthousiasme”, il lut ensuite Ainsi parlait Zarathoustra. Cette lecture provoqua chez lui un véritable choc. Il écrit :
Ce fut comme pour le Faust de Goethe, une des plus fortes impressions que je reçus. Zarathoustra était le Faust de Nietzsche, et mon côté numéro 2 était mon Zarathoustra - naturellement compte tenu de la distance qui sépare une taupinière du Mont Blanc.”
 
    Une telle impression ne peut que laisser des traces, même si elles ne sont pas conscientes. J'irai jusqu’à suggérer que la force de l’émotion occasionnée par Nietzsche à cette époque, et le refus de se laisser aller à une dangereuse fascination, provoquerent en lui un refoulement très freudien. En effet, dans le cas de Jung, après le choc intervenait toujours la réflexion et la recherche du sens. L’interrogation ne pouvait donc  manquer de survenir. Il était persuadé du côté morbide du personnage de Zarathoustra. Son numéro 2 l’était-il aussi ? Son génie aurait du suggérer à Nietzsche que “quelque-chose allait de travers” or, “jouant les funambules il avait fini par tomber en dehors de lui-même” . C’est ainsi qu’il était devenu un “possédé”, un homme que la société rejetait.

Tout cela fait horreur au numéro 1, celui-là qui avait décidé de réussir sa vie extérieure. L’”empirisme” l’emporte, il refuse l’”irréalité” de Nietzsche et, consciemment, rompt pour longtemps avec le Zarathoustra . On peut lire dans Ma vie :
“Le Faust m’avait ouvert une porte, le Zarathoustra m’en ferma violemment une autre, et pour longtemps. Il en fut de moi comme du vieux paysan dont deux vaches, par sorcellerie, avaient eu l’encolure prise dans le même licou et à qui son jeune fils demandait comment chose pareille était possible. Et il répondit : “Henri, de ces choses on ne parle pas !”
   
    L’influence du Zarathoustra devient, à partir de cette époque, un courant souterrain, qui ne resurgira vraiment qu’au moment des Sept Sermons aux Morts  ; même si, au cours de la première version de Métamorphoses et symboles de la libido, antérieure aux Sept Sermons, il est souvent fait allusion, d’une manière “culturelle” mais non philosophique, à Nietzsche, à ses poèmes et à Ecce homo.

Les Sept Semons aux morts est une oeuvre qui me fascine depuis longtemps mais je les laisserai de côté, dans cette suite de notes, car je voudrais leur consacrer, un jour, une série particulière.

À bientôt la suite.

Ariaga

Partager cet article
Repost0
17 octobre 2013 4 17 /10 /octobre /2013 18:05

écriture,culture,société,philosophie,psychologie,jung,nietzsche

Je ne peux pas commencer cette petite série sur les relations entre  C.G.JUNG et F. NIETZSCHE sans revenir sur certaines idées que j'ai déja développées il y a quelques années sur le blog du Laboratoire ; idées qui  sont nécessaires à la compréhension de l'étrange fascinantion-répulsion que Jung éprouva envers Nietzsche. Il est possible que certains lecteuers anciens trouvent que je me répète ... qu'ils me pardonnent !

Je vais aujourd'hui vous parler de la double personnalité de Jung.

Jung s'était aperçu, dès les premières années de sa vie, sans avoir aucune notion de psychologie ou de philosophie, de la présence en lui d'une seconde personnalité. Par exemple, encore enfant, il se demandait, après un rêve très impressionnant : "qui parle en moi". Il dénomme dans son autobiographie Ma vie ces deux pôles de son être "n°1" et "n°2". Il les décrit ainsi  (Ma vie,p. 65) :

"L'un était le fils de ses parents ; celui-là allait au collège, était moins intelligent, moins appliqué, moins convenable et moins propre que beaucoup d'autres ;  l'autre, au contraire, était un adulte ; il était vieux, sceptique, méfiant et loin du monde des humains. mais il était en contact avec la nature, face à la terre, au soleil à la lune, aux intempéries, aux créatures vivantes et surtout à la nuit, aux rêves et à tout ce que "Dieu" pouvait évoquer immédiatement en moi."

 

    Parallèlement à son moi humain bien différencié, le jeune Jung avait le bouleversant et intraduisible pressentiment de l'existence d'un "autre", en relation avec une dimension plus vaste. Non seulement l'"autre" n'avait pas perdu, comme c'est souvent le cas pour l'homme contemporain, une intime relation avec la Nature, mais il connaissait, je pourrais presque dire ressentait, Dieu comme un mystère secret et personnel. Il avait le sentiment d'une participation à quelque chose qui n'était pas lui (Ma vie, p.87) :

 

"Un peu comme si j'avais été touché par un souffle venu de l'univers astral et des espaces infinis ou comme si un esprit invisible était entré dans la chambre ; un esprit disparu depuis longtemps mais qui serait continuellement présent dans l'intemporel et jusque dans un lointain avenir. Les péripéties de ce genre étaient entourées du halo d'un numen." 

 

     L'"autre monde" auquel il eut accès très jeune par l'intermédiaire des rêves était celui d'un inconscient devenu perceptible à un âge où il n'est généralement pas activé. Cela explique certains comportements névrotiques et les nombreuses hésitation de Jung pendant son enfance et son adolescence. Les dialogues avec son autre intérieur le laissaient souvent déstabilisé, en particulier au moment de choisir une orientation pour ses études car, en lui, le numéro 1 et le numéro deux, qui avaient des goûts très différents poursuivaient leur lutte pour la domination. 

 

   Jung finit par se décider à étudier la médecine. Demeurait le problème d'une image intérieure difficile à assumer  car, comme dans son enfance, deux images s'affrontaient en lui. Son aspect n°1 se présente, selon ses dires, comme un jeune homme assez antipathique, ambitieux, peu doué, instable et aux manières douteuses. L'aspect n°2 considère le n°1 comme une charge ingrate, alourdie par une quantité de défauts dont les plus graves sont le manque de compréhension et d'ordre, en particulier en ce qui concerne la philosophie et la religion. Ce n°2 n'est pas vraiment un "caractère" mais plutôt une sorte de "vision totale", et dépourvue d'indulgence, de la nature humaine. Cette vision voudrait s'exprimer mais elle répugne à le faire par l'intermédiaire "épais et obscur" du n°1.

 

   Arrivé à la fin de ses études secondaires Jung se trouve psychologiquement dans une situation critique qu'il décrit ainsi : "Quand le numéro  2 prédominait, le numéro 1 était enfermé en lui et suspendu ; inversement le numéro 1 considérait l'autre comme un royaume intérieur obscur." Il frôle le précipice d'une dangereuse dissociation de la personnalité quand, quelques mois après, il fait un rêve "inoubliable "et salvateur (ma vie, p.110):

 

"C'était la nuit, à un endroit inconnu. Je n'avançais qu'avec peine contre un vent puissant soufflant en tempête. en outre il régnait un épais brouillard. Je tenais et protégeais  de mes deux mains une petite lumière qui menaçait à tout instant de s'éteindre. Or il fallait à tout prix que je maintienne cette petite flamme : tout en dépendait. Soudain j'eus le sentiment d'être suivi ; je regardais en arrière et perçus une gigantesque forme noire derrière moi. Mais, au même moment, j'avais conscience que - malgré ma terreur - sans me soucier de tous les dangers, je devais sauver ma petite flamme à travers nuit et tempête."

 

 Ce rêve fut déterminant car il lui trouva un sens qui le guida jusqu'aux débuts de l'âge mûr. Il facilita son insertion dans la société et augmenta sa capacité de décision. Il comprit que sa personnalité n°1 portait la lumière et que la n°2 la suivait comme une ombre. La petite flamme, c'était sa conscience, l'unique et le plus précieux trésor en sa possession. Sa mission, à cette période de sa vie, était de de conserver cette flamme, si petite et si fragile par rapport aux puissances de l'ombre. Il lui fallait aller dans le monde de la surface, un monde qui ne veut rien savoir des secrets insondables des profondeurs, et s'y consacrer aux tâches quotidiennes. Cela représentait un lourd sacrifice pour ce jeune homme d'un caractère introverti qui se voyait contraint d'aller vers l'extérieur.  

 

   Jung choisit donc d'écarter sa personnalité numéro 2. Cependant, preuve que son cheminement était déjà amorcé, c'est avec une belle maturité qu'il comprit que renier complètement ce côté serait une "automutilation".  Le n°2 devint flou, mais il s'installa définitivement à l'arrière plan de sa vie.

 

Il est bien possible que certains d'entre vous se retrouvent plus ou moins dans la manifestation de cette double personnalité chez Jung.

 

         Ariaga

À très bientot la suite

Partager cet article
Repost0
14 octobre 2013 1 14 /10 /octobre /2013 15:17

qu'est-ce que c'est ?.jpg

 

Pourquoi avons nous tellement besoin du regard de l'autre pour exister ?

Qu'apporte à un individu, sur le plan de son évolution personnelle, le fait d'appartenir à des réseaux sociaux et peut on y échapper ?

Ariaga

Partager cet article
Repost0
7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 20:47
P5230926_2_2.jpg

Le préalable à l'Alchimie spirituelle est de faire un état des lieux. En effet, si, se considérant comme un vase sur l'Athanor, on entreprend de faire de soi-même le matériau de l'Oeuvre, il faut d'abord prendre conscience de ce que l'on est et ensuite de ce que l'on voudrait devenir. C'est seulement ensuite que peut commencer la lente transformation de ce qui est considéré comme des défauts en leur qualités opposées.

    Ariaga

P5230926_3.jpg
Partager cet article
Repost0
27 septembre 2013 5 27 /09 /septembre /2013 11:27

écriture,culture,philosophie,société,photo,poésie

Elle ne veut pas tomber dans le creux de la parole,

la parole pour ne rien dire,

alors elle reste en points de suspension

sur les bords de la profondeur ...

Ariaga

Partager cet article
Repost0
20 septembre 2013 5 20 /09 /septembre /2013 18:55

La fête.jpg

Je n'en peux plus, je vais exploser, car cela me "gonfle" d'entendre un nombre croissant de gens hacher leurs propos de EN FAIT. Je ne sais pourquoi, cela provoque en moi une espèce d'angoisse, un peu comme celle provoquée par les heu...heu..., mais en pire. Heu, cela n'a aucun sens alors que les EN FAIT sont des mots. Je vais donc tenter de me soigner en utilisant la méthode du "jouer avec les mots" que certains lecteurs de ce blog connaissent. Je l'appelle aussi la langue des oiseaux et Jung parlait d'amplification. Cela marche aussi avec les rêves quand un mot incongru, sans aucune relation avec le contexte, survient comme un cheveu sur la soupe !

Peut-être ce EN FAIT est-il un message de l'inconscient collectif des français, un fait qui veut être pris au sérieux, un "c'est un fait" ?

Une proposition qui me plaît et qui explique l'illustration : Tous ces EN FAIT viendraient d'un besoin de détendre le discours en allant à une fête, en étant en fête.

Ou alors ce serait le trop plein d'un fait, d'une action, qui essaierait de s'accomplir entre les vides des mots?

Et pourquoi pas le désir inconscient d'atteindre le faîte, la cime, d'un sommet ou d'un batiment. Ce serait alors symbolique du besoin de s'élever au dessus de la banalité du discours.

Et si on allait voir du côté d'un mot anglais, faith, qui se serait sournoisement introduit dans les interstices. Il signifie foi, croyance. Cela voudrait dire que celui qui s'exprime voudrait bien croire, ou faire croire, à ce qu'il dit ...

J'ai une dernière proposition : Celui qui parle ploierait-il sous le poids le faix de ses mots?

EN FAIT, ( ça y est je suis contaminée ! ), qu'en pensez vous ?

Ariaga

Partager cet article
Repost0
14 septembre 2013 6 14 /09 /septembre /2013 17:02

amour,écriture,poésie,amour, mort,société,philosophie

Avec un inconnu

prendre un chemin inconnu

pour aller vers l'inconnu

est-ce cela l'amour ?

 

Se séparer de l'avoir

ne pas craindre les trous noirs

devenir un boomerang

en voyage entre deux mondes

Est-ce cela la mort ?

Ariaga

Partager cet article
Repost0